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Priorisation des substances pour la surveillance de la qualité des sédiments en Suisse

30. mai 2017, Catégorie: Ecotoxicologie aquatique Ecotoxicologie des sédiments Evaluation des risques

Priorisation des substances pour la surveillance de la qualité des sédiments en Suisse

En Suisse, les milieux aquatiques sont protégés grâce à l'ordonnance sur la protection des eaux qui exige que l'eau, la matière en suspension et les sédiments ne contiennent pas de substances de synthèse persistantes. Le système modulaire gradué propose une série de méthodes standardisées pour l'appréciation de la qualité des eaux de surface sous ses différents aspects. Ces méthodes ont été élaborées par la Confédération en collaboration avec l'Eawag et les services cantonaux de la protection des eaux. Le Centre Ecotox travaille actuellement à l'élaboration du module Sédiments encore manquant. Il œuvre donc à la mise au point d'une méthode harmonisée pour la surveillance de la qualité des sédiments en Suisse. D’ailleurs, sur quelles substances cette surveillance devrait-elle porter ? Selon un sondage effectué par le Centre Ecotox, la plupart des cantons procèdent principalement au dosage des métaux lourds, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et des polychlorobiphényles (PCB). Or les sédiments emmagasinent bien d'autres polluants comme par exemple les pesticides et les résidus médicamenteux. Une liste prioritaire de substances à mesurer a déjà été établie pour la surveillance de la qualité des eaux mais elle se concentre uniquement sur les polluants chimiques présents en phase aqueuse. Il est à relever que les critères de sélection à appliquer pour les substances adsorbées sur les particules solides ne sont pas les mêmes.

Une longue liste de substances au départ de la priorisation 

« Nous avons priorisé les polluants des sédiments en nous servant d'un système employé dans le réseau européen de surveillance NORMAN, explique Carmen Casado-Martinez du Centre Ecotox. Ce système tient compte du fait que les données environnementales et toxicologiques sont souvent manquantes pour les contaminants de ce compartiment. » Les substances sont ainsi réparties en catégories en fonction des données disponibles puis priorisées au sein de chaque catégorie. Les métaux ont été évalués séparément et n'ont donc pas étés intégrés dans cette démarche de priorisation. Carmen Casado-Martinez et Michel Wildi ont tout d'abord établi une liste des substances pouvant jouer un rôle important dans la contamination des sédiments. Dans cette liste figurent notamment les produits phytosanitaires et biocides homologués en Suisse, les composés le plus souvent détectés dans les sédiments par les autorités suisses, les substances contenues dans les effluents d'épuration et celles figurant dans l’ordonnance sur les sites contaminés et dans le registre des émissions de polluants. Complétée des substances prioritaires de l'UE et de celles déjà détectées dans des monitorings des sédiments, la liste initiale comportait alors 1089 composés.

Cinq catégories d'action pour programmer le monitoring

Une seconde liste a ensuite été établie en sélectionnant parmi les composés de la liste initiale ceux qui remplissaient au moins l'une des conditions suivantes : 1) substances déjà mises en évidence dans les sédiments en Suisse ou dans l'UE ; 2) substances pour lesquelles des critères de qualité des sédiments (CQS) existent déjà dans d'autres pays, c'est-à-dire des seuils au-delà desquels des effets délétères sont susceptibles d'apparaître chez les organismes benthiques - les données issues de l'UE et des USA ont été prises en compte ; 3) substances dont la présence est probable dans les sédiments en raison de leur hydrophobie et de leur persistance. De cette manière, 240 composés pertinents pour l'évaluation des sédiments ont été sélectionnés. En considérant le degré de disponibilité des données et le facteur de risque (RAF = concentration mesurée / seuil fixé pour les sédiments), ces composés ont alors été répartis en 5 catégories (cf. Tableau) pour lesquelles des recommandations différentes peuvent être formulées. A l'intérieur de ces catégories, les substances ont été hiérarchisées en fonction de l'exposition, de la dangerosité et du risque. Ainsi, les substances directement émises dans l'environnement (comme les pesticides) ont été jugées plus prioritaires que celles utilisées dans des systèmes contrôlés. La dangerosité des composés a été évaluée en tenant compte de leur persistance potentielle, de leur potentiel de bioaccumulation et de biomagnification, de leur toxicité et de leur potentiel effet en tant que perturbateur endocrinien. Le risque a été estimé en se basant sur l'existence ou l'absence de CQS dans l'UE, sur les critères de qualité environnementale recommandés pour les eaux de surface en Suisse, sur la présence du composé sur une liste de substances prioritaires et de son facteur de risque.

La catégorie 1 comprend les substances dont les concentrations dans l'environnement sont connues et dont le facteur de risque est supérieur à 1 et qui doivent donc être surveillées à l'avenir. On y trouve notamment les pesticides organochlorés, l'hexachlorobenzène, le DDT, les HAP, les PCB et le phtalate DEHP.

La catégorie 2 comprend les substances qui ont déjà été mises en évidence dans les sédiments dans l'UE et occasionnellement en Suisse et qu'il est donc recommandé d'intégrer aux programmes de surveillance. Il y figure notamment l'irgarol (algicide), le triclosane (biocide), le diuron (herbicide) et le benzopyrène. La deltaméthrine, la lambda-cyhalothrine, la perméthrine (trois insecticides pyréthrinoïdes) et le chlorpyrifos (organophosphoré) présentent également un niveau de priorité élevé. Le bisphénol A (plastifiant), la carbamazépine (antiépileptique) et l'estrone (hormone) entrent eux aussi dans cette catégorie.

Les substances classées dans la catégorie 3 ont également été détectées dans les sédiments en Suisse ou dans l'UE mais le risque qu'elles représentent n'a pu être calculé faute de données écotoxicologiques. Il est recommandé d'acquérir les données manquantes les concernant. Les représentants les plus importants de cette catégorie sont les retardateurs de flamme bromés et les composés perfluorés. Mais elle comprend également certains pesticides, fongicides et composés issus des produits d'hygiène corporelle comme la climbazole, l'octocrylène, le triclocarban et les muscs de synthèse.

Pour beaucoup de substances potentiellement préoccupantes pour les sédiments, l'exposition ne peut être déterminée faute de données sur les teneurs dans l'environnement (catégorie 4). Il est recommandé de lancer des campagnes de mesure afin de combler cette lacune. Les composés jugés le plus prioritaires dans cette catégorie sont le 17-α- éthinylestradiol (hormone), l'érythromycine (antibiotique), le bézafibrate (hypolipémiant) et d'autres médicaments tels que l'azithromycine, la clarithromycine et le diclofénac. Un fort niveau de priorité a également été attribué à certain insecticides et fongicides.

La catégorie 5 comporte des pesticides qui ne sont plus autorisés à la vente et dont les concentrations dans l'environnement baissent progressivement, comme l'endosulfan et l'heptachlore (deux insecticides). Il peut être envisagé de réduire l'intensité des contrôles de routine dont ils font l'objet.

Un besoin notable de données de toxicité et de critères de qualité pour le sédiment

Les substances actuellement commercialisées, qui sont émises en continu (médicaments etc.) ou de manière irrégulière (produits phytosanitaires etc.) dans l'environnement doivent faire l'objet d'une surveillance non seulement dans l'eau mais également dans les sédiments. Mais un risque peut également émaner de composés interdits depuis longtemps dans la mesure où ils peuvent s'accumuler dans les sédiments et être ensuite relargués dans l'eau. Pour pouvoir apprécier la qualité des sédiments sur la base d'analyses chimiques, il est impératif de disposer de CQS permettant d'interpréter les données. Un problème demeure cependant : les données sur les effets des polluants sur les organismes du sédiment restent rares et les évaluations doivent donc souvent se baser sur des extrapolations à partir des données obtenues avec des organismes pélagiques. Le fait de disposer de davantage de données de toxicité spécifiques aux sédiments permettrait de réduire les incertitudes lors de l'appréciation. La méthode de screening proposée ici s'est avérée utile pour la priorisation des substances à des fins de monitoring. Elle doit être actualisée en permanence en regard de nouvelles données. Le Centre Ecotox se basera sur la liste de substances priorisées pour établir avec les cantons une liste définitive de substances à contrôler pour le module Sédiments du système modulaire gradué.

 Pour en savoir plus

Casado-Martinez, M.C., Wildi, M., Ferrari, B.J.D., Werner, I. (2017) Prioritization of substances for national ambient monitoring of sediment in Switzerland. Environmental Science and Pollution Research DOI 10.1007/s11356-017-9082-6

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