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Comment déterminer des valeurs de référence écotoxicologiques pour les sols ?

11. novembre 2021, Catégorie: Ecotoxicologie des sols Evaluation des risques

Comment déterminer des valeurs de référence écotoxicologiques pour les sols ?

La Suisse souhaite réduire de moitié les risques liés aux produits phytosanitaires sur son territoire d'ici une dizaine d'années. Dans cette optique, il est nécessaire de déterminer des valeurs de référence écotoxicologiques pour les sols pour le screening des produits phytosanitaires. Mais de quelles méthodes dispose-t-on pour les déterminer ? Quels sont les aspects à prendre en compte ? Le Centre Ecotox dresse un premier bilan.

En 2017, le Conseil fédéral a défini des objectifs clairs pour améliorer la protection de l'environnement dans le contexte agricole : le plan d'action sur les produits phytosanitaires (PPh) qu'il a voté vise à réduire de moitié les risques liés à ces produits en l'espace d'une décennie. Pour ce faire, il convient tout d'abord de mettre en place un monitoring des résidus de PPh dans les sols agricoles, préalable indispensable à la détection des pollutions éventuelles et à l'appréciation de la qualité des sols.

Or, pour l'heure, on dispose de très peu de normes ou de valeurs auxquelles se référer pour une telle surveillance. Il en va tout autrement dans le domaine aquatique : l'observation de la qualité des eaux est bien établie en Europe où elle se base généralement sur des valeurs seuils écotoxicologiques appelées normes de qualité environnementale (NQE) ou critères de qualité. Il s'agit de concentrations en dessous desquelles aucun effet néfaste sur les organismes biologiques n'est censé se produire. La comparaison des concentrations mesurées avec ces normes de qualité permet ainsi d'évaluer la qualité de l'eau.

Un manque de méthodes pour l'évaluation de la qualité des sols

La Suisse ne dispose pas, jusqu'à présent, de telles valeurs de référence pour les PPh dans les sols. « Nous avons un besoin urgent de valeurs de référence basées sur les risques écotoxicologiques pour aider au monitoring des résidus de PPh dans les sols», explique Mireia Marti du Centre Ecotox. De telles valeurs limites écotoxicologiques se basent sur des études d'écotoxicité réalisées avec des organismes typiques du sol et indiquent les concentrations en dessous desquelles aucun effet néfaste n'est susceptible de se produire. Dans la suite du texte, le terme « valeurs de référence écotoxicologiques » sera employé. Actuellement, la loi suisse ne définit de valeurs indicatives pour les sols que pour certains métaux lourds et polluants organiques persistants et n'en précise pas pour les PPh actuellement utilisés. Dans les autres pays, de telles valeurs de référence sont tout aussi rares.

Alors que pour les eaux, la méthode de détermination des critères de qualité est bien établie, le terrain doit encore être défriché pour les sols puisqu'il n'existe pas encore de méthode reconnue internationalement. « Les sols sont beaucoup plus complexes que les milieux aquatiques ; ils peuvent avoir des propriétés très diverses, explique Mireia Marti. Qui plus est, une partie des PPh s'adsorbent sur les particules de sol. » Or cela influe sur la biodisponibilité des PPh et donc sur leur toxicité. D'autre part, on dispose de beaucoup moins de données de toxicité pour les organismes édaphiques que pour leurs homologues aquatiques.

Pour se faire une idée de la manière dont des valeurs de référence écotoxicologiques pourraient être déterminées pour les sols, les chercheuses ont tout d'abord examiné les méthodes disponibles dans le monde. Celles-ci entrent en jeu dans différents types de réglementations et présentent toutes des points forts et des points faibles (voir encart).

Comment déterminer des valeurs de référence écotoxicologiques ?

La démarche générale est sensiblement la même dans la plupart des méthodes. La première étape consiste à compiler les données sur les propriétés physicochimiques des substances (solubilité, coefficient de partage octanol-eau = KOW, etc.) pour pouvoir prédire leur comportement dans l'environnement. Dans un deuxième temps, les données d'écotoxicité sont recherchées dans les dossiers d'autorisation et les publications scientifiques. Ces données portent sur différents invertébrés édaphiques, végétaux et micro-organismes et, typiquement, sur les effets qui affectent leur survie, leur croissance ou leur reproduction.

Les spécialistes vérifient ensuite la pertinence et la fiabilité des données car seules les valeurs qui remplissent certains critères peuvent être utilisées pour déterminer les valeurs de référence. Si possible, ces données doivent en effet provenir de bioessais effectués selon une méthode standardisée. Il faut par ailleurs que suffisamment d'informations soient disponibles sur les tests et les méthodes statistiques auxquelles ils font appel. Les données de toxicité privilégiées sont celles qui portent sur des effets chroniques sur les êtres vivants. Suivant la nature du sol utilisé pour les tests de toxicité, la biodisponibilité des substances peut varier. Pour les composés hydrophobes, la teneur en carbone organique est ainsi décisive. Certaines méthodes normalisent donc les données de toxicité pour un sol standardisé ou excluent les biotests réalisés avec un sol de teneur en carbone différente de celui considéré.

Différentes méthodes d'extrapolation des données

La plupart des données d'écotoxicité proviennent d'essais de laboratoire menés avec des organismes standard et sont donc sources d'incertitudes dans la mesure où elles ne peuvent tenir compte de toutes les espèces et de leurs interactions dans la nature. De ce fait, les valeurs de référence sont déduites de ces données de toxicité par un travail d'extrapolation. L'approche choisie peut alors varier en fonction du nombre de données de toxicité disponibles. Pour répondre à l’incertitude résultant de l’extrapolation, toutes les méthodes se servent de facteurs de sécurité. La valeur du facteur de sécurité dépend de la taille du pool de données disponibles. Moins celles-ci sont nombreuses, plus le facteur est élevé.

Si suffisamment de données sont disponibles, une méthode d'extrapolation statistique peut être employée. Les concentrations de substance critiques pour différentes espèces sont tout d'abord classées en fonction de leur valeur pour obtenir un aperçu de la distribution des données. La distribution statistique est ensuite généralement ajustée grâce à un modèle mathématique censé refléter les différences de sensibilité dans l'environnement. Cette méthode est appelée la distribution de sensibilité des espèces (SSD). Elle suit le guide technique de l'UE et se trouve également employée par d'autres agences étatiques, aux Pays-Bas et en Australie, par exemple. Si suffisamment de données sont disponibles pour suffisamment d'espèces, il est possible de déterminer la concentration pour laquelle, par exemple, 5 % des espèces sont affectées. Pour cette méthode, le facteur de sécurité est de 1 à 5 car elle est considérée comme relativement fiable et particulièrement robuste.

La méthode déterministe ou méthode des facteurs de sécurité est employée lorsque la quantité de données disponibles est insuffisante pour déterminer leur distribution. Dans ce cas, la valeur de toxicité retenue est celle de l'espèce la plus sensible. Elle est ensuite divisée par un facteur de sécurité qui correspond à l'incertitude rémanente. Ce facteur peut être très élevé et atteindre trois ordres de grandeur.

Si, pour une substance, on ne dispose d'aucune donnée de toxicité pour les organismes édaphiques, il est possible de recourir à la méthode du coefficient de partage. Cette méthode part du principe que les polluants ne sont accessibles aux organismes que par la phase aqueuse, que leur toxicité pour les organismes dépend donc de leur concentration dans cette phase et que les organismes du sol présentent la même sensibilité aux polluants que leurs homologues aquatiques. Étant donné que la méthode ne tient compte que de l'absorption par la phase aqueuse et non par l'ingestion de particules de sol, un facteur de sécurité supplémentaire de 10 lui est appliqué.

Empoisonnement secondaire et utilisation du sol

D'autres facteurs que les données d'écotoxicité jouent également un rôle dans l'évaluation du risque. Certaines substances telles que les polluants organiques lipophiles ou les métaux ont la capacité de s'accumuler le long de la chaîne alimentaire. Ils peuvent alors constituer un risque pour les vertébrés, subissant ce que l'on appelle un empoisonnement secondaire. Certaines méthodes prennent en compte ce risque d'intoxication secondaire. Elles évaluent tout d'abord le caractère lipophile de la substance considérée à travers son KOW. A partir d'une certaine valeur du KOW, une valeur de référence supplémentaire est déterminée pour le mécanisme d'intoxication secondaire.

Dans certains pays, l'utilisation du sol est en partie prise en compte. On part alors du principe que certains sites comme les réserves naturelles ou les parcs ont une valeur écologique particulière et doivent donc bénéficier de mesures de protection plus strictes. D'autres sites comme les zones industrielles sont déjà fortement impactées par les activités humaines et nécessitent donc une protection moins importante. De même les concentrations de fond des substances peuvent être prises en compte localement ainsi que de possibles conséquences pour la santé humaine.

La dernière étape de la détermination de valeurs de référence écotoxicologiques pour les sols consiste à évaluer leur applicabilité. Cette évaluation est généralement assurée par des pairs et comporte un volet d'appréciation politique. Les réglementateurs doivent s'assurer que les valeurs de référence sont suffisamment protectrices mais en même temps qu'elles sont applicables dans le contexte politique du moment.

Les chercheuses du Centre Ecotox travaillent actuellement à l'évaluation des avantages et inconvénients des différentes méthodes (voir encart) et en déduisent une série de recommandations. Cette liste servira plus tard à la détermination de valeurs de référence écotoxicologiques pour les sols. « Nous pourrons ainsi, espérons-le, bientôt mieux évaluer la pollution des sols afin de réduire les risques liés aux produits phytosanitaires pour les plantes et les organismes du sol », conclut Mireia Marti.

 

Encart

Méthodes potentielles de détermination de valeurs de référence écotoxicologiques pour les PPh dans les sols

Actuellement, six grandes méthodes sont employées dans différents cadres réglementaires. Deux d'entre elles obéissent à une logique prospective, donc anticipatoire : il s'agit de la méthode de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), employée pour l'autorisation des PPh dans l'Union européenne, et de celle de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), employée pour l'autorisation des produits biocides. Les autres méthodes viennent des Pays-Bas, du Canada, des États-Unis et d'Australie et sont déjà employées pour évaluer, de manière rétrospective, la qualité des sols.

La méthode de l'EFSA correspond largement à celle employée par l'Office fédéral de l'agriculture pour l'autorisation des PPh. Le risque pour les organismes du sol y est évalué à l'aide du rapport toxicité/exposition (TER). Il s'agit du rapport entre le seuil d'effets pour la plus sensible des espèces étudiées et la concentration prédite dans l'environnement pour la substance considérée. Ces données permettent de déterminer des concentrations réglementaires acceptables (RAC) qui pourraient servir de valeurs de référence écotoxicologiques pour les sols s'il existait pour cela une méthode standardisée. La méthode de l'EFSA n'utilise que des données relatives à des organismes bien définis. Elle est bien adaptée aux PPh mais se révèle très rigide.

La méthode de l'ECHA, utilisée pour l'autorisation des biocides, correspond sur bien des points à celle employée pour déterminer les critères de qualité ou les NQE dans le contexte aquatique car elle se base sur le même guide technique de l'UE. Elle a initialement été développée pour l'évaluation des risques dans le milieu aquatique et a ensuite été adaptée à l'évaluation du risque dans les sols. Sa grande force est sa flexibilité. Elle tient ainsi compte de la disponibilité des données de toxicité par un système d'extrapolation et s'adapte à différents types de sols. De même, elle tient compte du risque d'empoisonnement secondaire.

La méthode des Pays-Bas se base sur le même guide technique de l'UE que celle de l'ECHA précédemment décrite. Elle présente donc les mêmes avantages.

Dans la méthode du Canada, la quantité de données disponibles est prise en compte, comme dans la méthode néerlandaise, par un système d'extrapolation. Elle fait par ailleurs une distinction entre les différentes formes d'utilisation du sol. Elle ne permet cependant pas de considérer différents types de sols. Par ailleurs, la méthode de prise en compte du risque d'empoisonnement secondaire se révèle très complexe.

La méthode de l'Agence américaine de l'environnement (US EPA) est facile à utiliser et permet de prendre en compte tous les types de tests de toxicité sur les plantes et organismes édaphiques. En revanche elle ne tient pas compte du nombre de données disponibles, des propriétés du sol et des micro-organismes.

La méthode utilisée en Australie tient compte de l'utilisation du sol, de la quantité de données disponibles et du risque d'empoisonnement secondaire. Toutefois, elle accorde moins d'importance à la protection des organismes du sol qu'à celle des végétaux.

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