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Les produits phytosanitaires affectent-ils les poissons ?

Des mélanges de produits phytosanitaires pouvant exister dans l'environnement affectent l'équilibre énergétique des poissons, ce qui, à long terme, peut avoir un effet sur leurs chances de survie. Cet impact est accentué par le réchauffement des eaux et le développement des maladies. Une approche basée sur des biomarqueurs spécifiques paraît très prometteuse pour mettre en évidence ces effets complexes.

La faune piscicole des ruisseaux et rivières suisses a fortement décliné : la plupart des poissons du pays figurent ainsi aujourd'hui sur la liste rouge des espèces menacées. En particulier, les effectifs de la truite commune – poisson emblématique s'il en est – ont chuté ces dernières années. La pollution par les produits phytosanitaires (PPS) pourrait en être en partie responsable. En effet, des analyses chimiques ont montré que les petits cours d'eau et ceux de taille moyenne drainant des zones très agricoles renfermaient des quantités préoccupantes de PPS. Les concentrations se situent à des niveaux présentant un risque pour les poissons et les composés sont généralement présents sous la forme de cocktails chimiques souvent plus toxiques que les substances isolées. Qui plus est, les poissons sont souvent exposés à d'autres facteurs de stress qui se surimposent, comme le réchauffement des eaux dû aux changements climatiques, les altérations du milieu physique et les maladies. Des scientifiques du Centre Ecotox et de l'université de Berne ont étudié ces relations complexes et mis au point des méthodes préliminaires permettant de mettre en évidence l'impact des PPS sur les truites communes.

Un triple stress pour les truites

Dans les essais de laboratoire, des truites juvéniles ont été exposées pendant 14 jours à un mélange tel qu'il pourrait se trouver dans l'environnement et composé de 5 PPS : deux fongicides (fluopyrame et époxiconazole), deux insecticides (chlorpyrifos et lambda-cyhalothrine) et un herbicide (diuron). Ces composés ont été choisis car ils ont fréquemment été détectés dans les eaux suisses et parce que divers éléments et analyses indiquent qu'ils représentent un risque pour les poissons – l'utilisation du diuron et du chlorpyrifos pour les usages phytopharmaceutiques sera d'ailleurs interdite à partir de juin 2021. Deux niveaux de concentration de PPS ont été testés : d'une part, les concentrations réellement mesurées dans les ruisseaux suisses et d'autre part, ce niveau multiplié par cinq afin de simuler un pic de pollution éventuel. Pour évaluer l'effet du réchauffement des eaux, les essais ont été menés à deux niveaux de température, à savoir à 12 °C et à 15 °C, pour représenter la situation typique des cours d'eau du Plateau au printemps et en été.  Juste après l'exposition aux PPS, la moitié des poissons ont été inoculés avec des parasites responsables d'une maladie fréquente (la maladie rénale proliférative MRP ou PKD) afin d'évaluer leur sensibilité à cette maladie. « Pour nos essais, nous avons volontairement choisi des conditions modérées par rapport au terrain pour ne pas provoquer de mortalité et pouvoir étudier les effets sublétaux », souligne Anne-Sophie Voisin du Centre Ecotox. Les réactions des poissons ont été analysées à partir de divers paramètres biologiques.

Effets immédiats et à long terme sur les réserves d'énergie des poissons

L'exposition des poissons aux PPS a eu des effets significatifs aussi bien directs et immédiats qu'à long terme sur les truites. La mortalité est, certes, restée aussi faible que chez les témoins, mais les sujets exposés ont présenté des effets plus discrets mais néanmoins susceptibles d'affecter leur vitalité sur le long terme. Ainsi, à 12 °C, l'indice hépatosomatique des poissons exposés aux PPS était plus faible que celui des témoins au terme de l'exposition. Cet indice mesure le rapport entre la masse du foie et celle du corps. « Chez les poissons, le foie est l'organe de stockage des réserves d'énergie, explique Helmut Segner de l'université de Berne. La réduction de l'indice hépatosomatique chez les poissons exposés aux PPS semble donc indiquer qu'ils ont davantage puisé dans leurs réserves pour faire face à la pollution. » De plus, le facteur de condition (le rapport entre la longueur du corps et la masse) des truites exposées aux plus fortes concentrations de polluants à 15 °C était plus faible que chez les témoins. Ce facteur est, lui aussi, en relation avec le budget énergétique et cet effet était, lui aussi, visible directement après la fin de l'exposition.

Chez les poissons maintenus à 15 °C, l'exposition aux PPS a eu des effets à plus long terme. Ainsi, deux mois après la fin de l'exposition, la cosommation basale de l'oxygène pour la nage était significativement plus faible chez ces truites que chez les témoins ayant évolué à la même température. Cette différence s'explique probablement par le fait que les truites exposées ont dû utiliser une partie de leurs réserves d'énergie pour faire face à la pollution et disposaient donc ensuite de moins d'énergie pour la nage. « Cela aussi montre que la pollution par les PPS peut avoir un impact à long terme sur l'équilibre énergétique des poissons même si une phase de récupération fait suite à une exposition », analyse Helmut Segner. Les scientifiques ont d'autre part observé des interactions entre les trois types de stress en considérant divers autres paramètres biologiques.

L'effet des PPS révélé par l'activation de certains gènes

Mais comment mettre en évidence l'action particulièrement complexe des PPS sur les poissons dans les situations de terrain ? Le recours aux biomarqueurs offre une solution prometteuse. Les biomarqueurs peuvent être, par exemple, des gènes responsables de réactions de défense par rapport au stress environnemental dans les cellules. L'activation de tels gènes marque le début d'une longue chaîne de réponse au stress. Elle peut être mesurée par l'ARN messager (ARNm) qui se forme lors de la première étape de la synthèse de la protéine à partir du gène. Des études ont déjà montré que l'analyse de l'expression de gènes biomarqueurs judicieusement choisis pouvait être utilisée avec efficacité pour apprécier la qualité de l'eau.

Vingt-deux gènes intervenant soit dans des réponses spécifiques aux pesticides soit dans la réaction au stress thermique ont été sélectionnés pour servir de biomarqueurs. Leur expression a été mesurée dans le foie et/ou dans le cerveau. Six biomarqueurs ont réagi de manière significative à l'exposition aux PPS dans le cerveau. Dans le foie, aucun des biomarqueurs n'a donné de réponse significative aux PPS mais 12 d'entre eux ont réagi à une hausse de la température de l'eau. Curieusement, la plupart des effets significatifs détectés sur les biomarqueurs étaient causés par les concentrations les plus faibles et non par le cocktail concentré de PPS. Il se peut que, aux concentrations plus élevées, d'autres mécanismes de défense aient été activés ou que des dommages cellulaires aient déjà été occasionnés, empêchant les réactions de défense de se mettre en place. Cette observation est particulièrement intéressante dans la mesure où le niveau de concentration le plus faible des essais correspond aux valeurs réellement mesurées dans les cours d'eau et reflète donc la situation environnementale la plus typique.

Il n'est pas aisé de trouver des biomarqueurs adéquats étant donné que l'expression de beaucoup de gènes de réponse au stress n'augmente que passagèrement juste après la contrainte pour être ensuite relayée par d'autres mécanismes de défense. L'expression des gènes biomarqueurs ayant réagi dans les essais était augmentée plus durablement, si bien qu'ils semblent pouvoir être utilisés pour les études de terrain. « Nous cherchons en ce moment à identifier d'autres biomarqueurs et à mettre au point un jeu robuste de marqueurs pour le monitoring, indique Anne-Sophie Voisin du Centre Ecotox. Nous voulons ensuite l'utiliser sur le terrain. »

Importance de la condition physique des truites

Les PPS ont des effets immédiats et à long terme sur l'équilibre énergétique de la truite commune. L'exposition des poissons à ces composés a provoqué des effets sublétaux qui, associés à d'autres stress comme le réchauffement des eaux ou les attaques parasitaires, sont susceptibles d'affecter leur condition physique générale. Il semble que l'exposition aux PPS leur impose une forte dépense d'énergie. Cela pourrait notamment limiter leurs chances de survie étant donné que, dans la nature, les réserves stockées à la belle saison conditionnent fortement la survie des juvéniles en hiver. Selon diverses études de terrain, il semblerait en effet que le taux de survie en hiver soit un facteur décisif pour la pérennité de la population de truites d'un cours d'eau. Concernant les essais avec les biomarqueurs, deux aspects importants sont à relever. Tout d'abord, les effets ont été observés dans des conditions de laboratoire modérées du point de vue de la température et de la densité de parasites. « Dans le milieu naturel, les températures peuvent être beaucoup plus élevées et les parasites présents beaucoup plus longtemps, souligne Anne-Sophie Voisin. Sur le Plateau, en particulier, les cours d'eau peuvent largement dépasser les 15 °C en été. Nous comptons donc, à l'avenir, étudier les effets de la température de manière encore plus détaillée. » D'un autre côté, certains effets ne se sont manifestés que longtemps après l'exposition aux PPS. Ceci semble indiquer que, même si les expositions surviennent souvent par vagues, la pollution par les PPS peut avoir des effets à long terme sur les poissons.

Publication

Rehberger, K., Fasel, M., Segner, H., Voisin, A. S., Olbrich, D., Werner, I., … Kreuzer (2021). Schädigen Pflanzenschutzmittel Fische? Effekte von PSM-Mischungen, in Kombination mit anderen Umweltstressoren, auf junge ForellenAqua & Gas101(7/8), 60-68. , Institutional Repository

 

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